Le plus grand facteur de succès en investissement

6 novembre 2019 par Olivier B. Ampleman

Une femme qui réfléchit assise à son bureau.

Dans mon premier article il y a quelques semaines, je mentionnais qu’un des bénéfices que procure un conseiller est qu’il nous aide à éviter les erreurs coûteuses puisqu’il est détaché de notre situation. Il peut donc garder la tête froide et la remettre en perspective pour nous. Mais concrètement, qu’est-ce qui fait qu’il est si difficile pour une personne de rester rationnelle et en contrôle?

Une prémisse fausse

Lorsque je faisais mes études en finance à l’université, nous étudions des modèles qui tentaient de déterminer la valeur d’actifs financiers et d’expliquer le comportement des marchés. L’hypothèse de base qui revenait sans cesse, pour les modèles dits de finance traditionnelle, était celle de la rationalité des investisseurs, c’est-à-dire que ceux-ci font toujours des choix logiques et prudents afin de maximiser leurs bénéfices. Évidemment, cette simplification faite pour faciliter la vie des théoriciens ne tient pas la route dans la réalité, tel que démontré par de nombreuses recherches au cours des dernières décennies. En vérité, face à des choix complexes qui demandent du temps et des efforts, les gens tendent à utiliser des façons de raisonner subjectives et sous-optimales, basées sur des règles de pouce plutôt que sur une analyse exhaustive.

Cette réalisation a mené à la montée d’un nouveau champ de la science économique, l’économie comportementale, et à celle de son sous-domaine, la finance comportementale. Ces derniers étudient les facteurs psychologiques qui influencent la prise de décision dans le monde réel et ont gagné en crédibilité dans la communauté académique alors que plusieurs économistes comportementaux ont gagné le prix Nobel dans les dernières années (le plus récent étant le professeur Richard Thaler en 2017).

Quand vous devenez votre plus grand ennemi

Les recherches en finance comportementale ont démontré la présence d’un certain nombre de biais qui influencent négativement le comportement des investisseurs, qu’ils soient individuels ou institutionnels. Ceux-ci sont souvent classés en deux catégories : les biais émotionnels, qui se produisent lorsque notre recherche de sentiments positifs et notre désir d’éviter ceux négatifs prennent le pas sur la logique et les faits, et les erreurs cognitives, qui sont plutôt liées à un mauvais traitement de l’information (manque de compréhensions des règles de probabilités, défaut de mémoire, Etc.). Certains biais possèdent des éléments à la fois émotionnels et cognitifs, toutefois la catégorisation demeure utile puisque le traitement suggéré variera entre les deux pour tenir compte du fait qu’il est plus difficile de contrôler des émotions que de corriger un raisonnement erroné.

Examinons quelques exemples des biais les plus courants en investissement :

L’aversion aux pertes (émotionnel) est un des biais les plus connus en finance comportementale. Il s’agit de la tendance des investisseurs à tirer beaucoup plus de contrariété d'une perte, que de satisfaction d'un gain équivalent. Un certain degré d’aversion est parfaitement rationnel puisque l’utilité marginale de l’argent est décroissante (les premiers 100 000 $ de revenus d’une personne lui sont plus utiles que les 100 000 $ suivants), seulement le rapport entre les pertes et les gains serait de l’ordre de 2 pour 1 selon certaines études.

La conséquence principale de ce biais est ce qu’on appelle l’effet de disposition : les investisseurs voyant des titres ayant des pertes latentes dans leur portefeuille refusent de les vendre, souhaitant qu’ils remontent au moins à leur cours d’achat, même s’il existe de bonnes raisons à celles-ci, telles que des difficultés financières pour la compagnie. Ironiquement, ce comportement peut donc les conduire à prendre plus de risques que ce qui serait optimal selon leur profil d’investisseur. À l’inverse, les investisseurs s’empressent souvent de vendre les titres gagnants pour ne pas risquer de perdre leurs gains non réalisés, même si ceux-ci ont encore un bon potentiel de croissance.

Lors d’une baisse de marché, il est également possible qu’ils réagissent impulsivement en posant un geste contraire à leur intérêt à long terme : celui de sortir totalement du marché boursier. Ils matérialiseront donc une perte qui n’aurait fort probablement été que temporaire et manqueront sans doute le rebond subséquent, rendant cette perte permanente.

L’excès de confiance (principalement émotionnel) se produit lorsqu’une personne surestime ses habiletés et la valeur des informations qu’elle a recueillies. Ce biais aurait deux sources. D’abord, les gens ont tendance à souffrir de ce qu’on nomme l’illusion de savoir, c’est-à-dire qu’ils surestiment leurs connaissances et leur capacité de jugement. Fait amusant, celui-ci serait exacerbé chez les individus les moins qualifiés, un phénomène appelé l’effet Dunning-Kruger. D’autre part, ils font preuve d’autocomplaisance en attribuant leurs succès à leurs qualités personnelles, tout en blâmant leurs échecs sur des facteurs externes comme la malchance. Subconsciemment, ils tentent ainsi de protéger l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. L’excès de confiance est très nuisible aux investisseurs puisqu’il peut conduire à un manque de diversification, des activités de négociation exagérées, et une prise de risques excessive.

La maîtrise de soi (émotionnel) est la capacité d’un individu de garder ses émotions et son comportement en contrôle. Évidemment, la plupart des gens tendent à privilégier leur satisfaction à court terme au lieu de l’atteinte de leurs objectifs à long terme. Au niveau de l’investissement, cela se manifeste généralement par une épargne inférieure à celle requise, et a parfois comme conséquence que l’investisseur, faisant la réalisation qu’il n’en a pas suffisamment accumulée, tente de compenser en prenant plus de risque que ce que sa tolérance lui permet.

L’aversion aux regrets (émotionnel), quant à elle, se manifeste lorsque les investisseurs agissent de façon à éviter d’avoir des regrets, que ce soit celui d’avoir agi (erreur de commission), ou celui de ne pas avoir l’avoir fait (erreur d’omission). Celle-ci peut avoir deux conséquences. D’une part, l’investisseur qui a subi des pertes auparavant peut se montrer trop conservateur dans ses placements afin de ne pas avoir à prendre la responsabilité d’une nouvelle erreur. Cela peut lui être utile psychologiquement à court terme, mais nuire à l’atteinte de ses objectifs à long terme.

D’autre part, certaines personnes peuvent s’engager dans ce qu’on nomme le comportement grégaire (ou moutonnier) en investissant dans des placements populaires auprès de la masse, sans faire leur propre analyse, afin de ne pas « manquer le bateau ». Malheureusement, il y a de bonnes chances que les titres qui capturent l’attention du public et des médias le font parce qu’ils ont déjà connu une montée importante et que l’espérance de rendement ne soit plus si intéressante. Une décision d’investissement devrait être basée sur des caractéristiques fondamentales et non sur une popularité temporaire. Parlez-en à ceux qui ont investi dans les titres technologiques au début des années 2000, ou plus récemment, dans le bitcoin quand celui-ci se négociait dans les 20 000 $.

Le biais de disponibilité (cognitif) désigne la propension des gens à accorder plus d’importance aux informations facilement accessibles en mémoire pour évaluer des probabilités et prendre des décisions. Le problème est que notre capacité de mémoire est limitée, nos souvenirs biaisés, et l’information dont nous disposons, incomplète. Cela nous rend susceptibles à faire des choix d’investissement en fonction de campagnes marketing, de favoriser les titres de compagnies œuvrant dans notre propre industrie ou dont nous aimons les produits, et de sous-diversifier nos portefeuilles en favorisant notre marché local; ce qu’on appelle le biais du pays d’origine (home-country bias). Ce dernier est très présent chez les investisseurs canadiens, ce qui est malheureux considérant la piètre diversification de notre marché boursier.

La comptabilité mentale (cognitif) est le nom utilisé pour décrire la tendance des gens à séparer leur argent dans des comptes mentaux selon sa provenance ou l’utilisation qu’ils comptent en faire. L’exemple le plus connu de ce principe est la façon différente qu’ont la majorité des gens de traiter leur bonus ou leur retour d’impôt comparativement à leur salaire périodique, se montrant plus impulsifs pour les dépenser puisqu’ils ne les avaient pas prévus dans leur budget. Cela ne devrait pas être le cas puisque l’argent est un actif fongible : un dollar est un dollar, peu importe sa provenance!

En investissement, cela se manifeste souvent par un compte pour la prise de risque modérée, et un autre dédié à la spéculation, au lieu de gérer le portefeuille de manière globale et de tenir compte de l’effet de la diversification. On peut aussi se retrouver en présence d’un investisseur qui investit dans des placements offrant de faibles rendements, tout en maintenant une balance de carte de crédit négative et en payant des intérêts élevés (comportement à éviter).

L’ancrage mental (cognitif) se produit lorsque l’investisseur se raccroche à des points de référence passés au lieu d’incorporer de nouvelles informations pertinentes dans son estimation de la valeur d’un titre. Ces points de référence sont souvent la valeur d’achat, ou celle d’un creux ou d’un sommet sur une période arbitraire. Par exemple, un investisseur qui refuserait d’investir dans un titre uniquement sur la base d’une augmentation récente de son cours ferait preuve d’ancrage mental s’il ignorait la forte croissance des profits, pendant la même période, qui justifiait la hausse de l’action.

Le biais de confirmation (cognitif), ou persévérance dans la croyance, se manifeste lorsque les investisseurs recherchent des informations allant dans le même sens que leurs opinions, et ignorent les éléments qui les contredisent ou qui affaiblissent leur argumentation, afin d’éviter l’inconfort mental qui résulte d’avouer qu’ils sont dans l’erreur. Les investisseurs souffrant de ce biais auront tendance à sous-diversifier leur portefeuille et à s’accrocher trop longtemps à leurs mauvais investissements.

Comment éviter ces pièges?

Dans la vie de tous les jours, nos biais comportementaux peuvent parfois s’avérer utiles pour gagner du temps ou pour éviter des sources de risque (par ex. l’heuristique de disponibilité). Cependant, quand il s’agit du domaine de l’investissement, ces biais tendent plutôt à jouer contre nous. Le plus grand facteur de succès en investissement est donc de pouvoir garder le contrôle sur nos biais comportementaux afin de demeurer disciplinés dans notre processus et d’ainsi atteindre nos objectifs à long terme.

Le simple fait de prendre conscience de leur existence et de pouvoir les identifier peut nous permettre d’atténuer leurs effets lorsque vient le moment de prendre des décisions, et surtout lorsque les marchés commencent à moins bien performer et que le niveau d’émotivité augmente. Il faut alors se rappeler que ces périodes de baisse sont normales, qu’elles sont escomptées dans notre plan financier, et qu’elles ne mettent pas en péril l’atteinte de nos objectifs à long terme. Dans ces situations, prenez donc la peine de discuter avec votre conseiller afin qu’il remettre votre situation en perspective et qu’il vous rassure sur l’état de celle-ci. Après tout, le coaching comportemental fait partie de son offre de service!

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